INTERVIEW @payetagouine
Extrait du dossier pour le concours des Olympes de la Parole
Nous avons décidé d’interviewer Sarah, qui tient le compte. Elle est “doctorante en sociologie et en géographie sociale depuis 4 ans et [...] travaille sur la visibilité des lesbiennes dans l’espace public à Paris”. Paye Ta Gouine est donc à la fois un projet de thèse et une action citoyenne. Sarah explique :
“L’idée de créer Paye Ta Gouine est née du constat criant de l’invisibilité des lesbiennes dans la société.(...) J’en avais assez de l’appropriation collective dont les lesbiennes sont l’objet (il suffit de taper le mot « lesbienne » sur Google…). Assez du silence sur les violences qu’elles vivent, de leur absence de reconnaissance et de leur absence de condamnation. Force est de constater le déni d’existence auquel nous faisons face. Alors que SOS Homophobie publie un rapport annuel sur l’homophobie depuis 2000, seuls deux rapports ont été menés sur la lesbophobie…
À partir de cet état des lieux, de mon expérience en tant que lesbienne et des premiers résultats de ma recherche j’en suis venue à la conclusion suivante : qu’elle s’exprime en famille, entre ami·e·s, au travail ou dans la rue, la violence ordinaire fait partie du quotidien de chacune d’entre nous. (...) Décliné sur Tumblr, Facebook et Instagram, Paye Ta Gouine s’inscrit dans lignée de Paye Ta Shnek et des autres plateformes participatives qui dénoncent les violences sexistes. À la seule différence : à la violence sexiste voire misogyne que les lesbiennes vivent en tant que femmes, s’imbriquent des violences hétérosexistes qu’elles expérimentent en tant que lesbiennes ou juste en tant que non-hétérosexuelles. (...)
Comme les témoignages publiés le soulignent, il ne s’agit pas d’une aversion ni d’une peur des lesbiennes mais bien d’un impensé social, d’un refus et d’un rejet de leur existence et de leur autonomie sexuelle et affective par rapport aux hommes. C’est leur émancipation de tout un système binaire et hétérosexuel qui est sanctionnée et qui s’exprime soit par une stigmatisation soit par une sexualisation. Paye Ta Gouine est donc aussi un outil pour penser, documenter et analyser la spécificité de toutes ces violences.”
Comment se sent-on quand on est spectateur de cette multitude de violences ? Découragée ou galvanisée ? Et comment se sentent les femmes qui témoignent ?
“J'ai reçu une centaine de témoignages ce qui est révélateur de l'étendue des violences vécues par les lesbiennes encore aujourd'hui. Mais c’est paradoxalement très encourageant car cela révèle un besoin de prendre la parole pour se réapproprier un vécu dans une démarche d’empowerment et de visibilité. L'afflux de témoignages me donne encore plus envie de mener ma thèse jusqu'au bout et (...) de sensibiliser les personnes non concernées (les hétéros) à une réalité qu’elles ne connaissent pas et dont elles ne mesurent pas forcément les effets ni les conséquences au quotidien.
Les retours sont très positifs, aujourd'hui un peu plus de 2000 personnes sont abonnées sur Instagram et je continue de recevoir des témoignages. Très souvent les femmes qui témoignent expriment leur soutien et soulignent la nécessité de pouvoir dénoncer les violences (...), il y a aussi un côté salvateur de voir son témoignage publié. “
Pour finir, Sarah a souligné les limites du statut de refuge que revêt Internet. En effet, le compte, public, s’expose à la haine.
“Depuis le lancement en octobre 2018, il y a eu quelques commentaires agressifs ou d'incompréhension mais ils restent minoritaires. Par contre, il y a trois jours j'ai posté un témoignage qui a été supprimé par Instagram pour "incitation à la haine". (...) Ce qui est sûr c'est que l'espace numérique n'est pas à l'abri de réactions intolérantes voire violentes tout comme dans l'espace public.”
Ce genre de comptes et d’initiatives permet à la fois de libérer la parole mais aussi de créer une communauté de soutien dans laquelle les insécurités nées des discriminations disparaissent.